
L’artiste satirique Wendy Red Star déconstruit les mythes et renverse les clichés sur les peuples autochtones
L’artiste satirique Wendy Red Star s’emploie à déconstruire les mythes et à renverser les clichés concernant les Premières Nations et les peuples autochtones. Alors que deux expositions présentent actuellement son travail, elle explique à la BBC comment elle utilise « l’humour comme un pont ».
Qu’est-ce qui ne va pas dans cette image ?
C’est peut-être la première réaction d’un visiteur en découvrant Winter, la photographie déconcertante de Red Star exposée dans Winter Count: Embracing the Cold, à la Galerie nationale du Canada (NGC), à Ottawa. Mais en y regardant de plus près, on peut saisir ce qui, précisément, est juste dans cette image.
L’exposition juxtapose des œuvres d’artistes autochtones et celles d’artistes colons canadiens, britanniques et européens des XIXe au XXIe siècles afin d’offrir une double perspective : célébrer et interroger l’expérience de l’hiver à travers des points de vue culturels multiples. Dans ce cadre, les différences dans la manière dont chaque groupe perçoit — ou mésinterprète — l’autre constituent exactement ce que Red Star nous invite à examiner.
Un paysage d’hiver… artificiel
Née en 1981 à Billings, dans le Montana, et membre inscrite de la tribu Apsáalooke (Crow), Red Star se place au centre de sa composition photographique, habillée de vêtements traditionnels colorés qu’elle a confectionnés elle-même, ornés de dents d’élan et de perles caractéristiques des Crow. L’authenticité historique de sa tenue contraste avec son regard mélancolique, qui nous force à examiner le décor qui l’entoure.
Ce qui semble d’abord être un paysage hivernal typique des Premières Nations se révèle, au second regard, une satire mordante des clichés romantiques liés à une prétendue harmonie naturelle dans laquelle vivraient les peuples autochtones.
Ici, le naturel a été remplacé par l’artificiel :
– Les « flocons » au sol sont en réalité des copeaux d’emballage en plastique.
– Les fougères et arbres sont artificiels.
– La boule de neige qu’elle tient est une balle synthétique semblable à un jouet pour enfants.
– Les hiboux aux yeux démesurés, corbeaux noirs, cardinaux rouge vif, et même le crâne de bœuf symbolisant la mort sont tous de fausses figures dispersées dans le décor.
– Le paysage lui-même n’est qu’une toile imprimée.
« Les gens sont tellement conditionnés à penser l’histoire des Autochtones d’une certaine manière que, lorsqu’on leur présente les faits réels, ils trouvent cela dérangeant », explique Red Star.
Inspirée par John Waters, portée par le kitsch
Red Star qualifie cette série de « ludique, presque kitsch ». À l’époque où elle créait The Four Seasons — quatre panoramas photographiques représentant les saisons — elle regardait beaucoup les films de John Waters. Elle réalisait cette œuvre dans la vingtaine, alors qu’elle étudiait la sculpture à l’UCLA, loin de son Montana natal.
Au Musée d’histoire naturelle de Los Angeles, elle s’était sentie « vraiment étrange » en voyant des visiteurs contempler des objets crow — notamment des mocassins — comme s’il s’agissait d’artefacts d’un peuple disparu. « Les gens entrent en pensant qu’ils vont apprendre la véritable histoire », dit-elle, « alors que cela ne correspond absolument pas à mon expérience ».
Exposer l’absurdité des stéréotypes
Plutôt que de se dire « provocatrice », elle affirme que ses œuvres invitent les spectateurs à reconnaître l’absurdité des stéréotypes véhiculés depuis des décennies. The Four Seasons « permet aux gens de commenter cette absurdité », dit-elle. Le but n’est pas de culpabiliser, mais « d’éclairer », et le rire fait partie de ce processus : « Quelle absurdité de la part des institutions d’avoir perpétué cela ! »
Démystifier le mythe de « l’Indien disparu »
Pour Wahsontiio Cross, co-commissaire de l’exposition et conservatrice associée aux savoirs autochtones au NGC, l’humour constitue un outil essentiel pour déconstruire les mythes — notamment celui alimenté par les dioramas de musées d’histoire naturelle qui figent les peuples autochtones comme des sujets anthropologiques.
Les œuvres de Red Star dialoguent également avec les photographies d’Edward S. Curtis (1868-1952), célèbre pour avoir représenté les Autochtones — dont la Nation crow — comme un peuple en voie de disparition. Curtis retirait délibérément de ses images les signes de modernité afin de renforcer cette illusion.
À l’inverse, en se mettant elle-même en scène, Red Star affirme la présence continue des peuples autochtones. « En portant sa tenue tribale, elle dit : ‘Nous sommes ici, nous ne partirons pas’ », explique Cross. « Ce qu’elle porte n’est pas un costume, mais un lien vivant avec ses ancêtres. »
Satire, archives et culture pop
Pour Red Star, la satire est un outil. Son travail mêle photographie, collage, sculpture et artefacts historiques. Ses œuvres figurent dans les collections du Metropolitan Museum of Art et du MoMA à New York. En 2024, elle a reçu la prestigieuse bourse MacArthur.
Entre humour et critique historique
En parallèle de Winter Count, une autre exposition lui est consacrée au Trout Gallery du Dickinson College : Wendy Red Star: Her Dreams Are True. Selon la commissaire Shannon Egan, Red Star est « archiviste, activiste et artiste », une chercheuse méticuleuse autant de l’histoire que de la culture populaire.
La première œuvre de cette exposition, The Last Thanks, reprend la même tenue que dans Four Seasons. Elle y parodie La Cène de Léonard de Vinci tout en déconstruisant le mythe du premier Thanksgiving présenté comme une fête harmonieuse entre colons et Autochtones.
Elle y apparaît assise à une longue table, bénissant un repas constitué de produits industriels bon marché : mortadelle, haricots verts en conserve, fromage sous plastique, pain blanc. À ses côtés, des squelettes affublés de coiffes en papier font les gestes « ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ».
Une œuvre à la fois humoristique, acerbe et profondément critique.





















